Monsieur le président, chers collègues, monsieur le ministre des Finances, un scandale de plus! Ce n'est pas le premier ni le dernier. On en a connu déjà une demi-douzaine ces dernières années avec, à chaque fois, le même scénario. Un certain nombre d'informations très concrètes mettent en évidence tantôt des faits de fraude fiscale avérés, tantôt des systèmes d'optimalisation d'évasion fiscale organisée.
À chaque fois, on attend du monde politique une réaction. Nous en avons eu une collectivement avec la commission Panama Papers. Mais, comme vous le savez – et nous en discuterons la semaine prochaine –, il y a un désaccord profond au sein de cette Assemblée entre la vision de la majorité et la vision de l'opposition. Nous considérons que vous n'allez pas assez loin dans les recommandations qui seront ici soumises et débattues.
Concrètement, cela signifie qu'il y a, dans le chef d'un certain nombre d'entre vous, une forme d'aveuglement à l'égard de ce phénomène massif que sont les paradis fiscaux! Avec les paradis fiscaux et la fraude fiscale, les caisses de l'État se vident et cela vous conduit, vous et votre gouvernement, à aller chercher dans la poche des travailleurs. C'est ce qui se passe avec le scandale de la fraude fiscale internationale!
Monsieur le ministre, hier, vous nous avez soumis votre note de politique générale, une page et demie sur la fraude fiscale et quasiment rien sur la fraude fiscale internationale, sauf la taxe Caïman. Cette fameuse taxe Caïman qui, de bricolage en bricolage, est censée aujourd'hui rapporter 500 millions d'euros, alors que, dans les rangs mêmes de la majorité, M. Van Rompuy en particulier, on explique que cela ne dépassera pas les 40 millions d'euros. Mais quelle rigolade! Ce que vous faites n'est pas à la hauteur des enjeux! Monsieur le ministre, on attend maintenant des réponses concrètes sur vos intentions.
Alors, je ne peux évidemment pas passer sous silence ce problème nouveau d'une société publique qui se voit aujourd'hui pointée du fait de ses implications et de ses intérêts dans certains paradis fiscaux, en particulier la SBI, la Société Belge d'Investissement International avec, à sa tête, quelqu'un qui, en effet, fait partie d'un cabinet politique. Je ne citerai pas de nom. Je respecterai effectivement nos règles. Mais, enfin, tout de même, ce n'est pas la première fois que le groupe financier Ackermans & van Haaren – il faut le dire – est impliqué dans des scandales. Cela signifie qu'il y a une connexion directe entre ce groupe, ce holding et certaines sphères de l'État. C'est inadmissible!
Monsieur le ministre, il nous faut des explications et de la transparence!
Réponse de Johan Van Overtveldt
Pour l'instant, mes informations sur les Paradise Papers se limitent à peu près à ce qu'en disent les médias. Les informations publiées s'appuient, par ailleurs, sur des millions de documents dont ni moi, ni l'administration fiscale ne
disposons.
Faute de preuves suffisantes du côté de l'administration fiscale, les résultats des enquêtes
ouvertes à la suite des Panama Papers sont maigres. Le rendement pour le Trésor s'élève actuellement à dix millions d'euros. C'est peu, mais aux Pays-Bas, il n'a atteint que 1,8 million d'euros.
J'appelle en tout cas les journalistes à transmettre les documents dont ils disposent.
J'attends les conclusions de la commission des Panama Papers pour pouvoir prendre des mesures pratiques.
La fraude et l'évasion fiscale soulèvent à juste titre une vive indignation. Les citoyens et les entreprises ne supportent plus que certains privilégiés continuent d'avoir recours à des
subterfuges pour frauder ou éluder l'impôt.
Je partage leur indignation. Des révélations telles que les Paradise Papers sont toutefois peu
surprenantes, car il est souvent question de constructions dans les paradis fiscaux qui remontent à une époque où ces pratiques étaient courantes. Entre-temps, l'opinion a changé à cet égard. De telles pratiques portent en effet préjudice à la justice fiscale et à la crédibilité des entreprises et des entités concernées.
Les constructions dans les paradis fiscaux, ce n'est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c'est la combinaison des mesures prises pour lutter contre ces constructions tant au niveau national
qu'international. Les mesures prises au niveau national n'auront d'effet que dans un contexte international allant dans le même sens.
Au niveau national, ce gouvernement est le premier à avoir taxé les constructions dans les paradis fiscaux via le mécanisme de la taxe Caïman. Ce n'était pas le cas par le passé
La taxe Caïman est un nouvel instrument qui peut encore être affiné et renforcé. D'autres États européens s'en inspirent. De plus, à l'avenir, les doubles structures ne pourront plus
échapper non plus à la taxe Caïman.
Nous avons également adopté un arsenal reprenant des dizaines de mesures: accès aux éléments de preuves numériques, prolongation du délai d'enquête lors d'obtention de renseignements de l'étranger, obligation de signalement pour les établissements financiers, extension de l'accès au PCC, investissements en personnel et en moyens à l'ISI.
2016 fut une année record avec 2500 dossiers traités, 1,7 milliard d'euros de sanctions infligées et un montant perçu de 255 millions d'euros.
La réforme de l'impôt des sociétés engendrera elle aussi une plus grande équité fiscale. Toute une série de postes déductibles compliqués passeront à la trappe, tandis que les rares postes qui subsistent seront liés à des activités économiques réelles telles que les investissements dans la recherche et le développement et le recrutement de chercheurs.
S'attaquer aux constructions fiscales ne peut s'avérer efficace que si cette lutte est organisée à l'échelle internationale. L'optimalisation fiscale ne s'arrête pas aux frontières des États, raison pour laquelle la Belgique prend part aux initiatives de l'OCDE et de la Commission européenne. La Belgique fut, par exemple, le premier État à avoir commencé à échanger ses rulings avec d'autres États.
L'OCDE et l'UE ont déjà pris des initiatives telles que la Base Erosion and Profit Shifting (BEPS) et l'Anti Tax Avoidance Directive (ATAD). Ces directives figurent dans les textes de loi relatifs à la réforme de l'impôt des sociétés.
Je réfute les insinuations selon lesquelles la Belgique fait barrage. Lors de la dernière réunion ECOFIN, j'ai plaidé pour une finalisation de la liste noire des paradis fiscaux en décembre, et pour des sanctions dans ce cadre.
Il est inadmissible que la Société Belge d'Investissement International (SBI) ait des liens avec un paradis fiscal. Ce dossier remonte déjà aux années 90 et nous le décortiquerons minutieusement, de manière à pouvoir clairement établir qui est responsable de ce que nous vivons aujourd'hui. Cette analyse sera suivie d'une conclusion.
Des sanctions seront prises pour éviter de telles constructions dans le futur. Je demanderai instamment aux autorités concernées d'être disponibles pour venir s'expliquer devant le Parlement.
Peut-être ne trouvait-on autrefois rien à redire par rapport à ces constructions mais aujourd'hui je tiens avant tout à éviter que cela se répète.
Réplique d'Ahmed Laaouej
Monsieur le ministre, vous nous avez fait une réponse qui est une réponse tiède. Vous nous dites que vous allez travailler sur la base des recommandations de la commission Panama Papers, celles de la majorité. C'est de l'eau tiède aussi. De l'eau tiède sur de l'eau tiède, cela reste de l'eau tiède!
N'imaginez pas un seul instant que vous allez pouvoir, sur la base du travail des membres de la majorité, faire avancer la lutte contre les paradis fiscaux! C'est même le contraire qui se passera parce qu'au fond, les seules choses sur lesquelles on nous attendait, c'est de pouvoir donner des moyens supplémentaires aux services de l'État (l'administration fiscale, la justice, la police spécialisée) pour lutter à armes égales contre ces fraudeurs qui s'organisent au niveau de l'international et qui font un braquage chaque jour, chaque fois qu'ils puisent dans les caisses de l'État en ne payant pas leurs impôts!
Autre point, monsieur le ministre, vous nous dites: "On va régler cela au niveau international, au niveau européen." Le problème, c'est que Wolfgang Schäuble, ministre des Finances allemand, vous pointe directement comme étant l'un des responsables précisément de l'inaction au niveau européen quant à l'harmonisation de la lutte contre l'évasion fiscale. Voilà les faits! M. Moscovici ne dit pas le contraire!
Alors, à un moment donné, il faudra pouvoir assumer le fait qu'en effet, vous, votre majorité et le gouvernement tout entier, vous défendez certains intérêts qui ne sont pas l'intérêt du plus grand nombre, qui ne sont pas l'intérêt des travailleurs, ceux qui tous les mois voient sur leur fiche de paie qu'on leur retient de l'impôt pendant que les autres organisent la fraude fiscale! C'est cela le véritable scandale de votre gouvernement!